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J’ai assisté mardi 27 mai 2014 aux matins de l’économie organisés par le Journal du Dimanche en partenariat avec Deloitte, Oddo & Cie (également l’hôte de la réunion), Thalès et Business & Decision. Cette conférence, centrée sur l’utilisation massive des données, était riche en enseignement et je vous propose ici un petit retour sur son déroulement.

L’évènement a montré que le Big Data est une opportunité qui fait rêver et inquiète à la fois … les entreprises françaises ont des questions et il faut “les rassurer”. De plus, les enjeux ne sont pas que français mais aussi européens, ont souligné les participants à la table ronde. En quelque sorte, cette table ronde a permis de faire le tour assez rapidement des énormes attentes économiques autour de ce nouveau secteur – qualifié de révolution – qui en même temps suscite les passions autour des problématiques de régulation et de protection des données individuelles, à tel point qu’un investisseur du secteur s’est écrié “nous sommes bien à Paris, nous avons plus parlé de risques que d’opportunités”.

 Les participants à la table ronde des matins de l’économie sur le Big Data, de gauche à droite : Michel Combes (Alcatel), Denis Olivennes (Lagardère), François Bourdoncle (fondateur d’Exalead), Valérie Hoffenberg (V Conférences), Jean Bernard Lévy (Thalès), Didier Taupin (Deloitte) et Bruno Jeudy (JDD)
Les participants à la table ronde des matins de l’économie sur le Big Data, de gauche à droite : Michel Combes (Alcatel), Denis Olivennes (Lagardère), François Bourdoncle (fondateur d’Exalead), Valérie Hoffenberg (V Conférences), Jean Bernard Lévy (Thalès), Didier Taupin (Deloitte) et Bruno Jeudy (JDD)

Mon compte-rendu des matins de l’économie du JDD sur le thème des mega données

L’espoir d’un secteur dynamisant qui vient irriguer toute l’économie

Philippe Oddo, hôte de l’évènement, a prononcé quelques mots d’introduction : “le Big data c’est surtout la collecte et le traitement de l’information pour anticiper au mieux ce qui va se passer dans tous les secteurs et particulièrement dans celui de l’analyse financière”. Avec une pareille entrée en matière, il n’était pas question de broyer du noir … les big data sont l’avenir de la high tech mais aussi de beaucoup de secteurs plus traditionnels. Je suis d’ailleurs largement d’accord avec ce point. Mais le sujet déclenche aussi la polémique, comme toutes les technologies nouvelles; nous y reviendrons.

Denis Olivennes, patron, de Lagardère Interactive a déclaré qu’il « est naturel pour un hebdo politique qu’on s’intéresse aux plaques tectoniques de la société. Ce sujet est au cœur de l’économie (notamment pour un patron de Presse qui possède “énormément de données) mais aussi des débats sur la vie privée”. Et d’ajouter que dans le cadre de l’Open Internet Project, une présentation effrayante a été faire par Laurent Alexandre (chirurgien fondateur de Doctissimo) sur le projet totalitaire des acteurs dominants des technologies de l’information, avec un coup de projecteur assez fort sur Google.

Cette approche bipolaire des technologies n’est pas nouvelle et réapparaît à chaque innovation. Tout nouveau saut technologique, aussi petit soit-il, génère avec lui son lot de techno-scientisme béat et, en même temps et à l’opposé, une opposition acharnée et irrationnelle la plupart du temps (même s’il est salutaire de lever les questions d’éthique, entendons-nous).

Courbe de la digestion des technologies
Courbe de la digestion des technologies Extrait de l’ouvrage « les médias sociaux expliqués à mon boss » (Yann Gourvennec, Hervé Kabla)

Le débat s’est poursuivi, parfois positif, parfois négatif, la réalité se situant sans doute, de manière Louis-Philippienne, quelque part entre les deux.

Michel Combes (DG ALcatel Lucent) a donc pris le micro…

Le développement du Big Data pose 2 questions majeures selon le patron d’Alcatel Lucent : la collecte et l’analyse et la réponse à ces questions se trouve, selon lui, principalement dans les réseaux qui doivent être rapides, sécurisants et adaptables. Il est vrai qu’on sait, depuis Mark Weiser et la fin des années 80, que les réseaux, contrairement aux poncifs, sont le véritable moteur de l’informatique omniprésente (ubiquitous computing). Cette informatique en tout temps et en tout lieu est aussi au cœur des Big Data avec l’introduction et la généralisation aujourd’hui, des objets connectés (qui ne sont plus une prédiction, mais une réalité, il suffit de se rendre dans un magasin Decathlon et de regarder le rayon des GPS/montres connectées pour s’en persuader).

Selon Michel Combes, nous allons passer de plus en plus à des réseaux distribués, versus centralisés aujourd’hui, et à un renforcement des technologies de cryptage embarquées dans les technologies ; cela passe par de multiples capteurs (cf. ce concept de « seconde peau numérique” expliqué à Barcelone par Michel Combes qui va permettre de développer de nouveaux usages). Les réseaux sont aussi une mine d’or pour les fournisseurs de services car ces données de réseaux peuvent être couplées à des données comportementales. En conclusion, « l’ensemble de l’activité d’Alcatel Lucent est tournée vers cela” car les opérateurs, clients de l’équipementier, sont déjà engagés depuis longtemps sur cette voie des Big Data.

Michel Combes a ensuite poursuivi en décrivant les 3 enjeux des Big Data pour l’Europe :

  • la capacité de l’Europe de se doter d’un vrai projet digital pour ne pas exclure  l’Europe de la connectivité ;
  • la capacité de l’Europe de passer du consumérisme à une stratégie de compétitivité pour l’industrie en favorisant les industriels européens ;
  • le développement des compétences numériques de l’Europe.

… Ainsi que les points de vigilance pour le développement d’un acteur majeur européen :

  • Les différents acteurs collectent les données et il y a un enjeu sur l’accès à ces données et il serait dangereux qu’un seul acteur ait accès à ces données et cela poserait aussi des questions d’un ordre technique surtout si ces données d’usage sont cryptées ce qui ferait que les opérateurs de services ne pourraient plus avoir accès à ces données pour les analyser et en déduire des actions pour améliorer les services aux utilisateurs.
  • Autre débat sur la taxation des données, un débat majeur qui prend au niveau européen… à suivre
  • La libre circulation des données en Europe pose aussi problème et ne permet pas l’émergence d’un acteur majeur européen
  • Les initiatives européennes (Trusted Cloud Europe) pour permettre l’émergence d’un véritable paysage de confiance et sécurisé dans ce domaine des big data.

Il y aura forcément des “fukushima des données”, selon M. Combes, sous-entendant par là des usages massifs de données contre le gré des utilisateurs, voire des catastrophes dues à des brèches de sécurité. « C’est encore infime aujourd’hui” a-t-il précisé, « mais il y aura forcément une accélération des vols de données (comme ceux intervenus chez ebay ou Orange, pour n’en citer que quelques-uns…) et il faut se préparer à des accidents de parcours.

Intervention de Business & Decision

Si d’aucuns peuvent en effet penser que le danger des Big Data peut être induit par la technologie, cette dernière, bien utilisée, peut aussi apporter une réponse à ce problème de confidentialité. « Il y a un nouveau marché de la sécurité et de la protection des données” selon le fondateur de l’ESN française, spécialisée dans les domaines des Données et du Digital. Le Réseau Tor par exemple « propose un navigateur qui permet de brouiller les données”; aujourd’hui cela est assimilable à un travail de pirate » a-t-il précisé, « mais demain il y aura aussi un marché pour cela ». La régulation est peut être dépassée en bien par la technologie et les entrepreneurs. Peut-être que demain on paiera pour protéger ses données a indiqué Patrick Bensabat.

Jean-Bernard Lévy, Thalès a pris la suite de Michel Combes 

Pour décrire pourquoi le Big Data est « une nouvelle source de croissance pour les entreprises”. « Les Big data pour Thales c’est la moitié de ses activités” a indiqué M. Lévy. Pourquoi ? Car Thalès est dans les secteurs du militaire et du transport. « Thalès fabrique des capteurs et gère ensuite l’information produite par ces capteurs. La moitié de ces capteurs sont sur des réseaux informatiques, mais l’autre moitié sont des capteurs physiques ». Ces capteurs et l’analyse de leurs données permet l’aide à la décision pour les clients. Avec la miniaturisation, tout cela est déjà du Big Data selon M. Lévy et « quelque chose que nous vivons au quotidien ». En France, on est bien placés pour les maths avec une école française de mathématiques appliquées, ce qui selon lui constitue un avantage concurrentiel du pays, même si François Bourdoncle a démontré le contraire.

JB Lévy : « La Gestion d’informations nombreuses et les outils mathématiques sont devenus un aspect essentiel de notre travail ».

  • Selon lui, nous n’en sommes qu’au tout début des améliorations de productivité amenées par le Big Data. Et on voit de grosses différences de capacité de mise en œuvre. Ex : les services de police de Mexico ont pris de l’avance sur l’utilisation des données pour la mise en œuvre de la politique de sécurité au Mexique. Il est vrai qu’il y a urgence ;
  • Il souligne l’absence de régulation dans ce domaine. « Google apparaît comme une menace et il n’y a pas de régulation sur l’utilisation des données individuelles et de protection des réseaux qui sont des domaines où Thalès intervient” précise-t-il. Les services gouvernementaux cherchent à protéger les citoyens et les réseaux. Mais est-ce possible et ont-ils raison ? Sont-ils même plus vertueux que les entreprises publiques. Honnêtement, je suis plus que sceptique quant à la réponse à apporter à cette question. En outre, le débat de la matinée a beaucoup tourné autour de la règlementation et son utilité (ou non) et cette partie du débat a fini par éclipser les côtés positifs des Big Data et de l’avancée technologique, marketing et scientifique qu’elles permettent.

C’est là que François Bourdoncle (mandaté par le gouvernement pour le plan Big Data et fondateur d’Exalead) est intervenu

D’abord pour définir les Big Data, car en donner une description simple est une tâche bien difficile. Mais il est plus facile de le décrire par ses impacts, selon lui : c’est le déplacement de la chaîne économique vers l’aval qui permet d’analyser les usages et en déduire des analyses comportementales et cela correspond à la servicisation des industries (automobile/aviation …) qui permet de dégager plus de marge en analysant les comportements.

Une révolution technologique du même niveau que l’invention de l’imprimerie ou des transports

Selon M. Bourdoncle, dont c’était le dernier jour chez Exalead, « il y a deux manières de le regarder (la manière techno des analystes américains) et l’autre, l’impact sur l’économie de ces technologies vs. pousser de la technologie et c’est cet angle que nous avons choisi ». C’est une révolution technologique, du même niveau que l’invention de l’imprimerie ou des transports. Et c’est l’aboutissement de l’informatisation des entreprises (ERP/CRM etc.) avec des sociétés (Oracle/SAP …). A la fin des années 90 cet impact a plafonné, puis il y a eu l’Internet (Google/Réseaux Sociaux /Téléphone mobile) et un impact sur les entreprises avec le BYOD (Bring Your Own Device). Cette troisième phase est la conséquence de la deuxième : au travers des millions de clients qui ont accumulé des données, et les offreurs ont développé leurs propres technologies pour analyser ces données. Ces technologies ne sont pas nées de n’importe où et c’est la rencontre des deux mondes entre des sociétés qui ont des dizaines de milliards de $ de trésorerie.

Les Big Data : informaticiens contre mathématiciens ?

Selon M. Bourdoncle, dans ce débat, “on a parlé beaucoup de mathématiques mais pas assez d’informatique ». Or Google, c’est une révolution de l’informatique, avant tout. C’est plus une démarche où on “laisse parler les données”. Or la France a la chance d’avoir à la fois des informaticiens et des mathématiciens. Or, la vraie révolution des Big Data est plus une révolution informatique que de mathématiques. La guerre est une guerre de données d’usages, détenues par les fournisseurs de services qui permettent de créer de nouveaux services (comme “pay how you drive” dans l’assurance, ou le modèle “autolib” qui permet de vendre un service forfaitaire sans plomber sa marge”. Les assurances sont du côté des mathématiciens mais elles sont coupées de leurs clients car elles n’ont pas les données d’usage. La question est de savoir quels ponts va lancer Google pour aller vers le service et comment les assureurs vont pouvoir remettre la main sur les données. Ceci se comprend aussi, sous l’angle de la complicité des utilisateurs : « Quand le produit est gratuit, c’est vous le produit” a rappelé François Bourdoncle à juste titre. Il est ironique de voir la suspicion monter à l’égard de Google, qui ne fait qu’utiliser les données que les utilisateurs ont consenti à leur fournir en échange d’un service gratuit !

Didier Taupin (Responsable des activités de conseil chez Deloitte France) a clos ce débat

En insistant sur le fait que “les données, il y en a de plus en plus chaque jour, notamment avec les objets connectés, et que cela ne fait que commencer. Avec les ERP “on avait un peu de mal” car pour analyser les données “il fallait connaître le résultat avant de le livrer et le temps de le livrer on n’en avait plus besoin”. Avec les Big Data on prend un sujet ponctuel et on travaille de façon itérative et on industrialise ensuite. Le résultat de l’ensemble est intégré au résultat opérationnel. Le résultat étant intégré, on propose un meilleur produit au consommateur et on traite la donnée en permanence et le processus est itératif et auto-apprenant. L’intervention de M. Taupin était utile pour souligner l’importance de la différence d’approche entre Big Data et monde informatique traditionnel.

Les questions du public

Souvent fort pertinentes ont aussi beaucoup tournées autour de la protection des données et du respect des utilisateurs. Un acteur du BTP a notamment lancé le débat autour de la remarque suivante : “les données sont accessibles et c’est un changement de paradigme, il faut l’accepter, il n’y a plus de confidentialité et quelle conséquence pour les comportements”

  • François Bourdoncle : Dans la musique, Apple est en train de se faire repiquer le business créé autour d’iTunes par Spotify et Deezer, même ceux qui ont révolutionné le business se font challenger par les nouveaux acteurs. Le monde va très vite. Et idem dans la Presse, où de nouveaux intermédiaires arrivent. Il n’y a pas de “too big to fail”. Dans le domaine de l’entertainment, il faut voir qu’il y a un nouveau front qui vient de s’ouvrir entre la Silicon Valley et Hollywood. Netflix se met à produire des séries eux-mêmes (House of Cards : 100m$ sans épisode pilote, remake d’une série de la BBC et ils savent qui regarde ça et qui aime quels acteurs) et l’enjeu est sur la capture de la relation clients.
  • Denis Olivennes : C’est une illusion de croire que c’est la seule analyse des données qui permet de déterminer la réussite d’une œuvre artistique. Devant chaque innovation il y a eu scepticisme ; par exemple sur les mesures parfois très contraignantes en termes de liberté individuelle pour préserver la planète… qui aurait pu prévoir que ces mesures seraient aussi facilement acceptées. La régulation reste nécessaire et possible. Quand on voit la conception de la vie privée de certains acteurs des réseaux sociaux, ce rêve de transparence totale est le rêve des régime.

La conclusion de la séance revient à un investisseur présent dans le public : « On est bien à Paris : on a plus parlé de risques que d’opportunité ! »

Visionary Marketing

Yann Gourvennec a plus de 20 ans d’expérience en Marketing & Innovation. Il a créé le site https://visionarymarketing.com en 1996. Ce blog est un blog personnel.

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